Saunier…. connaissez-vous ce métier ? Vous êtes-vous déjà demandé d’où vient votre sel, comment on le produit ? Et bien le saunier, c’est la personne qui s’occupe de son marais salant et en extrait le sel.
Quand on est sur l’île de Ré, qu’on soit à pied, en vélo ou en voiture, les marais salants ne passent pas inaperçus.
L’élégance et la géométrie au cordeau des marais m’impressionnent. Je pourrais rester des heures à contempler et observer cette symétrie parfaite dont les couleurs varient au fil de la journée.
Alors j’ai voulu en connaître un peu plus sur ce beau métier de saunier, sur ces bâtisseurs de marais et producteurs de sel qui exercent un métier passion plutôt qu’un métier tout court.
Rencontre avec Emmanuel
J’ai eu la chance de croiser, au hasard d’une balade à vélo, Emmanuel, saunier depuis 7 ans à la Couarde en Ré.
Cette rencontre, la première d’une longue série j’espère m’a permis de rencontrer une belle personne, un passionné, un homme libre entre terre et mer…
Originaire de Parthenay, dans le département voisin des Deux Sèvres, il a ressenti le besoin de se rapprocher de l’élément marin, de trouver un métier proche de sa personnalité et de changer d’air. Il a fait le choix de tout quitté pour changer le cours de sa vie.
Ses pas l’ont guidé sur l’île de Ré et son choix s’est porté sur le sel. Il sera saunier, un métier proche des éléments, de l’eau, de la mer et de la terre
Armé de toute sa motivation, de sa formation de paysagiste, il toque aux portes des producteurs de sel de l’île. Sa détermination paye, puisque « Esprit du sel » lui donne sa chance. Formé par un saunier, il mettra 4 ans pour connaître tous les secrets de ce métier, appréhender le milieu et être totalement autonome et à l’aise.
Depuis, trois ans, il est responsable d’exploitation pour Rivesaline qui gère deux marais sur l’île. Le marais du Feneau et le marais de la Bouteille. Ce qu’il aime : Gérer tout de A à Z, et récolter le sel, et non pas les fruits, de son labeur.
Qu’est-ce que le métier de saunier ?
« Sur ce bassin, le marais du Feneau, on exploite 48 œillets, un œillet étant le carré dans lequel est produit le sel. Et sur le marais de la Bouteille ce sont 60 œillets qui sont exploités. En moyenne, les 25 m² d’un œillet, donne entre 500 kg à une tonne de sel sur la saison. Ces deux marais représentent une belle exploitation.
Je gère l’alimentation en eau du marais grâce aux différents bassins qui sont construits en paliers avec seulement quelques centimètres de dénivelés, juste de quoi faire couler l’eau. Les œillets sont alimentés en eau par la nourrice, le bassin contigu, qui elle-même est alimentée par un muant. Ce vocabulaire tout comme les outils utilisés sont ancestraux. Depuis la création des marais par les moines au Moyen-Age.
L’exploitation du sel se fait en trois étapes.
- De fin février à mi-mai je prépare le marais avec le nettoyage des bassins pour ôter l’argile qui s’est accumulé au fond pendant l’hiver. Je remonte les chemins, aux noms ancestraux de velte, chemin de sel, l’anterneau ou marquanbelle, le canal central.
- Ensuite, la deuxième phase, de mi-mai à mi-septembre, c’est la production. Avec une alternance d’un jour sur deux, si la météo le permet, je « traite » chaque ligne d’œillets. Si le vent et le soleil ont été favorable, une traite peu former un coubia (la petite pyramide blanche de sel) de 50 à 80 kg que l’on voit en bordure de chaque œillet.
- Pour finir, la dernière phase de mi-septembre à fin octobre, c’est le stockage du sel en big bag pour passer l’hiver et le livrer à La Rochelle pour le conditionner pour la vente.»
Quel est le rythme de travail d’un saunier ?
« Pendant presque 8 mois de l’année, de fin février à la mi-octobre, je suis à plein temps sur le marais. En général, mes journées commencent vers 8 h pour finir vers 18h en phase de préparation. Alors qu’en phase de production, je travaille le matin de 7h30 à midi et je reprends le soir vers 16h30 pour la fleur de sel et la gestion de l’eau. Tout dépend de la météo, car en cas de pluie, il est difficile de travailler sur le marais.
Cela laisse peu de temps pour une vie de famille en raison de la saisonnalité du métier et parce que dès lors qu’on met le marais en route, on le tient jusqu’au bout. Le reste de l’année, en hiver, je suis musicothérapeute et je donne des cours de musique, notamment des percussions. Je voyage aussi, et pour moi, je joue de l’accordéon diatonique.»
C’est quoi la fleur de sel ?
« La fleur de sel, c’est du chlorure de sodium pur. C’est la cristallisation instantanée du sel dans la journée, suivant le temps qu’il a fait. Les cristaux se figent à la surface de l’eau et s’accumulent entre eux dans le sens du vent. En fait, c’est comme une couche de glace à la surface de l’eau. La fleur de sel est cueillie par le saunier juste en surface d’un geste délicat sachant qu’il n’y a qu’un centimètre et demi d’eau de profondeur. C’est un travail minutieux, précis d’où son coût plus élevé que le gros sel. Si ça rate, la fleur est noyée et devient du gros sel. Autrefois, les sauniers ne récoltaient pas la fleur de sel, seul le gros sel était produit. C’est au début des années 90 qu’elle commence à être commercialisée. Aujourd’hui, cela représente 10 % de la production de sel. »
Combien de sauniers compte l’île de Ré ?
« Ce sont entre 70 et 90 sauniers qui exercent dans les marais salants de l’île de Ré. Le métier n’est pas réservé qu’aux hommes, puisque quelques femmes gèrent des marais. Environ 80% sont des coopérateurs qui travaillent pour la coopérative des sauniers de l’île de Ré à Ars en Ré. Les 20 % restant sont des indépendants, comme Rivesaline. »
Et si je voulais devenir saunier, qu’est-ce que je dois faire ?
« Une formation de salviculture existe à Guérande sur un an. Après, il faut trouver un marais. Il y a encore des marais de propriétaires qui se transmettent de génération en génération. Cependant, aujourd’hui la plupart des marais appartiennent au Conservatoire du Littoral. Pour obtenir le droit d’exploiter un marais salant, il faut monter un dossier et un projet après sa formation. Ce dossier est présenté dans une commission constituée d’élus de la commune concernée, des membres du Conservatoire et des membres de la coopérative d’Ars en Ré. Si le dossier est accepté, l’heureux élu obtient un bail d’exploitation de 5 ans, 9 ans ou plus. »
Y a-t-il des aides financières à l’installation ?
« Oui, notamment pour ceux ayant effectué la formation à Guérande. Car la plupart des marais disponibles sont d’anciens marais bien souvent en friches, et dont les chemins sont atterris. La remise en état d’un marais peut mettre jusqu’à 4 ou 5 ans suivant son état. La clé de la réussite, la motivation, le courage et l’amour du métier. »
Combien de temps entre la mise en eau du bassin et la première traite ?
« Le bassin de récolte est la partie visible de l’iceberg. En amont des bassins de stockage, des vasais, sont alimentés en eau de mer lors des marées à fort coefficient, à la lune noire et à la pleine lune. En fonction des besoins en eau, les vannes sont ouvertes. La clé de réussite du marais salant, c’est une gestion d’eau très précise. C’est ce que j’aime la plus. »
Quand le marais est prêt et que les conditions climatiques sont favorables, une dizaine de jours suffisent pour effectuer la première traite.
Quel est votre pire ennemi ?
« L’eau de pluie bien sûr puisqu’elle dissout le sel, donc il disparait. Elle dilue la salinité de l’eau et empêche la cristallisation. De plus, les chemins étant en argile, il est presque impossible de marcher tant le sol devient glissant et boueux. Mais en cas de longue période sans pluie, elle est aussi salvatrice pour nous car elle nous donne un peu de repos. »
Où part votre sel ?
« Principalement dans les épiceries fines, les salaisons et les grandes surfaces de la région. Des agriculteurs en utilisent également pour le bétail, notamment le sel des premières traites, qui est plus argileux et moins vendable mais cela reste exceptionnel. Toute la production de sel de l’île de Ré est réservée uniquement à l’alimentaire.
De plus, on vend aussi en circuit-court, grâce au stand en libre-service situé sur le marais en bordure de la piste cyclable. Le principe : les gens choisissent leurs produits, ils calculent leur montant et font l’appoint en toute confiance. Depuis 7 ans que le stand existe ça fonctionne plutôt bien et les gens sont majoritairement honnêtes. »
Rencontrez-vous des problèmes de pollution ?
Oui, ça peut arriver venant de la mer avec les dégazages sauvages et les échouages de bateaux contenant des hydrocarbures ou des produits chimiques. Dans ce cas, on coupe les vannes. Mais la mer est de plus en plus polluée… Des contrôles sont effectués régulièrement sur l’eau des marais, avec des normes d’hygiène précises. »
Quelles sont les qualités que doit avoir un saunier ?
« Il doit être patient, doué dans l’observation des éléments et surtout bien connaître son marais. Ressentir ce qui se passe dans le milieu est essentiel »
Qu’aimez-vous le plus dans votre métier ?
« La préparation du marais, car ce qui est intéressant c’est de voir le résultat final. Tout m’intéresse, mais plus particulièrement la gestion de l’eau au plus juste pour que le marais fonctionne bien.»
Qu’aimez-vous le moins ?
Trier la fleur de sel à la main pour enlever toutes les impuretés. Le cahier des charges pour la vendre est très sélectif.
Il y a 7 ans vous avez fait le choix de devenir saunier. Si c’était à refaire ?
Je recommencerai. Ça m’apporte une forme de longue méditation de 6 à 8 mois où je suis lié avec le marais. Je vis à l’air libre ce qui est très important pour moi. De plus, ça me laisse 4 à 5 mois pour faire autre chose. Je trouve ma liberté dans ce métier. Mon rapport à l’eau est très présent, j’aime la faire couler, l’entendre circuler.
De plus, nous ne sommes que 400 sauniers en France, c’est donc un métier à part qu’il faut aimer pour l’exercer. »
Je dois avouer que j’étais un peu stressée à l’idée d’effectuer cette première rencontre improvisée. Finalement, j’ai couché mes questions dans mon cahier et puis, tout s’est fait naturellement.
Quel plaisir que ce premier rendez-vous avec Emmanuel. J’ai découvert un homme libre, passionné par son métier et je crois, content de partager son expérience. Je vous remercie Emmanuel de m’avoir fait confiance, malgré mon inexpérience en matière d’interview, merci d’avoir partagé un peu de votre temps avec moi. J’ai beaucoup appris.
En conclusion, à vous qui avez lu ces lignes, je vous invite à prendre le temps, quand vous irez sur l’île de Ré ou d’Oléron, d’observer et de contempler la symétrie de ces magnifiques marais salants. Ils ont été façonnés par des bâtisseurs avec des techniques et des outils inchangés depuis le Moyen-Age.
Par ailleurs, si vous aimez la marais, je vous propose de lire un article étant dédié à ceux de la Charente-Maritime, notamment celui de Mornac-sur-Seudre.